S’entretenir de la poésie. À quoi bon ? demandait le penseur, et il ajoutait « [ À quoi bon] les
hommes de l’art (Dichter) en temps nécessiteux
». Est-il encore temps ?

lundi 23 mai 2011

Luba Jurgenson





Je me vois comme un être à deux têtes, à deux cultures, traversée par des courants d’air langagiers, habitant un espace entre deux langues (le français, ma langue d’écriture depuis 1977 et le russe, la langue de l’enfance), toujours prise par le souci de traduire le monde qui n’en finit pas de se revêtir d’opacité. Les thèmes sur lesquels je travaille depuis plusieurs années sont : le destin de l’Europe et notamment, les deux totalitarismes (soviétique et allemand) et la façon dont ils ont façonné insidieusement l’esthétique européenne (et, partant, l’éthique). Mais aussi : comment ce réel-là se dérobe au dire, comment les mots pour le dire acquièrent leur vie propre en passant d’une langue à l’autre, comment l’être de la langue – ma seule véritable demeure – est toujours en exil du réel.